Enquête de l’ANFR – Combattre le mal par le mal ?

Enquêtes de l’ANFR 13 mars 2023
A la fin de l’été, l’ANFR a reçu une plainte d’un opérateur mobile concernant une station relais installée sur la commune de Sarreguemines dans le département de la Moselle. Elle était victime d’un brouillage de ses services de communications et d’Internet mobiles sur les bandes de fréquences 800 MHz, 900 MHz, 1 800 MHz, 2 100 MHz et 2 600 MHz.

Après avoir informé le procureur de la République de Sarreguemines, des agents assermentés et habilités du Service Interrégional Est (SIR Est) de l’ANFR se sont donc rendus sur place pour mener leur enquête...

Face au brouilleur : crime ou complot ?

Leurs équipements de mesure spécialisés n’ont laissé aucun doute : effectivement, toutes les bandes de téléphonie mobile utilisées par ce relais pour la 2G, la 3G et la 4G étaient affectées. Mais le brouillage allait même au-delà : le GPS ainsi que le Wifi dans la bande 2, 4 GHz n’étaient pas non plus indemnes ! La signature de l’émission perturbatrice, quant à elle, était sans équivoque : un brouilleur d’ondes, équipement interdit au public, sévissait dans les environs.

À bord de leur véhicule laboratoire au toit surmonté d’un radiogoniomètre, les agents ont visualisé le niveau d’émission du signal perturbateur. Après avoir patiemment cheminé dans les rues de Sarreguemines, ils ont eu la satisfaction de voir le niveau atteindre son maximum face à un immeuble de plusieurs étages. Il ne restait donc plus qu’à poursuivre la recherche à pied, pour identifier l’appartement où était caché l’engin…


Grâce à une antenne reliée à un récepteur, les agents ont pointé successivement toutes les fenêtres de la façade. L’une d’entre elles produisait un niveau d’émission plus élevé : un excellent indice de l’étage qu’il convenait d’inspecter en priorité. Un peu plus tard, une déambulation dans les parties communes et sur les paliers permit de localiser l’appartement suspect. Mais les brouilleurs sont souvent utilisés pour couvrir des activités criminelles : mieux valait ne pas céder à la tentation de frapper à la porte sur le champ…

Une thérapie de choc

Nos agents ont donc demandé l’assistance du commissariat de police de Sarreguemines avant de faire connaissance de l’occupant de l’appartement. Sans plus attendre, des agents de police ont prêté main forte à l’ANFR afin que nos agents puissent entrer dans l’appartement.

L’endroit était surprenant : les murs de l’appartement étaient tapissés d’aluminium et de couvertures de survie. Laboratoire clandestin ? Tanière d’extra-terrestres ? Rien de tout cela… L’occupant des lieux, qui n’avait rien d’un héros de science-fiction, se plia de bonne grâce aux exigences des enquêteurs. En toute candeur, il leur présenta spontanément un superbe brouilleur multibandes à l’origine de perturbations dans tout le quartier.

Informé du caractère illégal de la possession d’un tel équipement, il ne se confondit pourtant pas en excuses. En effet, il expliqua aux forces de l’ordre qu’il se considérait comme électro hypersensible. C’était la raison pour laquelle il avait équipé tout son appartement de tapisseries métalliques, dans l’espoir d’en faire une cage de Faraday. Quant au brouilleur, il l’utilisait, selon lui, à des fins thérapeutiques.

Cette personne précisa qu’il craignait la présence d’ondes, mais qu’il aurait constaté que ses symptômes disparaissent chaque fois qu’il s’installait à côté de son brouilleur allumé ; d’ailleurs, il estimait dormir beaucoup mieux dans sa proximité immédiate. Un comble, quand on sait qu’un brouilleur émet lui-même des ondes… C’est d’ailleurs le fondement même du fonctionnement d’un brouilleur : à la manière d’une musique très forte qui, sur une piste de danse, empêche toute conversation, un brouilleur émet des ondes suffisamment puissantes pour rendre inaudibles les signaux transmis sur les fréquences légitimes !

Dans cet appartement, les effets du brouilleur étaient d’ailleurs amplifiés : les murs étaient tapissés d’aluminium « pour que les ondes n’entrent pas », disait notre bonhomme ; mais il n’avait pas réalisé que son blindage artisanal favorisait des échos multiples et… entravait leur sortie ! Ainsi, les émissions électromagnétiques du brouilleur étaient particulièrement fortes dans l’appartement. Mais la cage de Faraday était imparfaite et le brouilleur suffisamment puissant, puisqu’il agissait tout de même sur l’antenne relais situé à plusieurs centaines de mètres !

Une fois le brouilleur mis hors tension, l’opérateur a pu confirmer que le brouillage dans le quartier avait cessé.

Accoutumance et rechutes…

Pourtant, seulement quatre jours plus tard, l’ANFR a été mise au courant de la reprise du brouillage sur cette même antenne, mais cette fois-ci de manière intermittente, et de nuit.

Nouvelle intervention planifiée pour les agents du SIR Est, qui attendent quelques jours et une confirmation du phénomène pour se lancer sur les routes. Stupéfaits, ils constatent que le camion laboratoire, une nouvelle fois, s’est arrêté… face au même immeuble !

De nouveau, un officier de police judiciaire et un gardien de la paix se rendent au domicile du même individu qui leur ouvre volontiers et leur désigne, de nouveau spontanément, son bouilleur multibande.

Après plusieurs récidives, la police de Sarreguemines décide de lancer une enquête préliminaire… C’est finalement quatre mois plus tard, devant la porte du même appartement, que des agents de l’ANFR, un officier de la police judiciaire, un agent de police en expertise sonnent à la porte. Il s’agit cette fois d’une perquisition au cours de laquelle deux autres brouilleurs multibandes ont été trouvés. Cette fois-ci, le brouilleur testé affectait aussi, en plus des autres services, la technologie 5G dans la bande de fréquences 3,5 GHz – qui jusque-là n’avait pas été impactée.

Neuf mois après le premier incident, notre récidiviste a comparu devant le Tribunal Judiciaire de Sarreguemines pour les faits de détention et d’utilisation illégale de brouilleur d’ondes. L’ANFR y a été entendue en tant que témoin et a pu apporter des explications sur les risques posés par les brouilleurs d’ondes. Le tribunal a déclaré cette personne coupable des faits qui lui étaient reprochés, mais le procureur de la République, ayant considéré qu’il n’y avait pas eu « d’intention de perturber l’ordre public ou de commettre un acte de délinquance », a demandé la simple confiscation de ses quatre brouilleurs, ainsi que le paiement du droit fixe de procédure.

Pour en savoir plus

Qu’est-ce qu’un brouilleur d’ondes ?

Un brouilleur est un émetteur radio conçu pour brouiller, perturber ou bloquer les signaux ou services de radiocommunication. En général, il agit en émettant plus fort que les signaux utiles, sur la bande de fréquence visée. Les signaux utiles ne sont alors plus détectés par les récepteurs.

Le rayon d’action des brouilleurs est souvent plus large qu’on ne le pense ou que ne le laisse supposer le vendeur. L’utilisateur se trouve d’ailleurs souvent dépassé par la portée de l’équipement qui n’est jamais circonscrit à un petit espace, comme une pièce ou un véhicule !

Il existe plusieurs types de brouilleurs selon qu’ils peuvent perturber : la téléphonie et l’internet mobiles, le Wifi, le GPS, les caméras ou alarmes sans fil... Il y a aussi les brouilleurs multibandes qui disposent d’une ou plusieurs petites antennes, selon le nombre de bandes de fréquences qu’il peut perturber

En savoir plus sur les brouilleurs GPS

En savoir plus sur les brouilleurs de téléphonie mobile

Que dit la loi ?

Elle interdit purement et simplement les brouilleurs radioélectriques. Une sanction pénale de six mois de prison et 30 000 € d’amende est prévue (article L. 39-1-4° du Code des postes et communications électroniques). La perturbation de services radioélectriques en utilisant un brouilleur est également un délit au titre du L 39-1 2° bis du CPCE et soumis également à une sanction de six mois de prison et 30 000 € d’amende.

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