Utilisation des drones sur les réseaux mobiles : quels enjeux pour le gestionnaire de fréquences ?

Aujourd'hui, l’usage des drones de loisirs se développe en Europe dans la bande 2,45 GHz « Wifi » et des travaux sont en cours pour qu’une partie des bandes « WiFi » 5GHz soit aussi utilisable par les drones. Idéales pour le grand public, ces bandes rencontrent une faiblesse majeure dans un cadre professionnel : elles ne peuvent être utilisées au-delà de la ligne de vue directe pour les drones de grande élongation utiles dans les industries de réseaux : électricité, télécoms, ferroviaire, pétrolière etc.. Une solution naturelle est d’utiliser les réseaux mobiles qui bénéficient d’une large couverture Dans ce contexte, certains opérateurs mobiles ont lancé des expérimentations et des sociétés innovantes investissent ce domaine. Quels sont les enjeux fréquences posés par un tel usage alors que les réseaux mobiles sont planifiés pour une couverture et un usage au sol ?
Le processus de standardisation à l’origine des spécifications des systèmes mobiles 3G, 4G puis 5G, le 3GPP, s’est approprié le sujet dès 2017. Après avoir précisé quelques scénarios d’usages, il a évalué et confirmé les possibilités de passage d’une cellule à une autre, identifié le besoin de distinguer un terminal « volant » d’un terminal terrestre, avec une signalisation associée, et d’améliorer le contrôle de puissance pour prévenir les brouillages, etc. Les questions d’identification des drones et de remontée d’information vers les autorités de gestion de trafic aérien au travers du réseau mobile sont à l’étude. Les travaux s’élargissent pour préciser les exigences de qualité de service adaptées à ce type d’usage.
L’emploi d’un drone soulève de multiples enjeux pour l’aviation civile, bien au-delà des questions de gestion des fréquences : sécurité des usagers de l’espace aérien et des personnes au sol, prévention des actes malveillants, etc. Un cadre d’usage, tant pour les drones de loisirs que professionnel [1], a ainsi été défini en France afin d’accompagner l’essor de ce marché, très porteur pour notre industrie nationale, tout en fixant des règles d’usages. Au niveau communautaire, l’agence de sécurité et de navigation aérienne (EASA) a analysé les conditions de sécurité à mettre en place, par exemple, en fonction de la hauteur ou de l’altitude à laquelle opère le drone, de son poids, du type de vol (en vue directe ou au-delà de la ligne de vue). Ainsi la Commission [2] vient-elle de préciser récemment les règles et procédures pour l’utilisation de catégories de drones. Trois catégories ont été ainsi définies : ouverte, spécifique ou certifiée. La première entend faciliter l’essor d’un marché et usage grand public de drones de faible poids, volant à très faible hauteur et toujours à vue. Les drones relevant de cette catégorie devront être conformes à la Directive équipement radio, comme tout smartphone, par exemple, mis librement sur le marché européen. Le dernier cas revient à imposer aux drones des obligations de sécurité similaires à celles applicables aux avions. La catégorie « spécifique » reste quant à elle à définir au niveau national, en particulier, en fonction des scénarios.
Ce cadre européen devra être transposé au niveau national indépendamment des usages fréquences. Il s’appliquera également pour des usages de drones sur des réseaux mobiles en fonction des caractéristiques du drone et de son emploi.
Les études en cours en Europe afin de préciser les conditions d’utilisation des drones sous couverture d’un réseau mobile portent, à ce stade, sur l’ensemble des bandes de fréquences exploitées par les réseaux mobiles. Néanmoins, les travaux en cours font l’hypothèse que les drones connectés à des réseaux mobiles bénéficieront de couverture étendue, par exemple en technologie 4G dans des bandes basses (en dessous de 1 GHz) et intermédiaires (1800 MHz par exemple).
Les problématiques qu’un gestionnaire de fréquences doit éclairer sont d’apparence limitées et ciblées : impact sur les réseaux mobiles, coexistence en adjacent entre réseaux mobiles et avec d’autres services, règles de coordination aux frontières. Elles nécessitent néanmoins une analyse et des études techniques approfondies des différents acteurs concernés : gestionnaire des fréquences, opérateurs mobiles, fournisseurs de drones, notamment, afin de mettre en évidence les conditions techniques permettant une utilisation de drones sur des réseaux mobiles.
L’Agence contribue à ces premiers travaux européens qui devraient se conclure en début de l’année 2020. Il ressort des premières analyses que l’usage de drones sur un réseau mobile ne brouillera pas le réseau mobile utilisant un bloc adjacent. En revanche, les impacts sur le réseau pourraient dans certaines configurations ne pas être négligeables, un drone étant plus « brouilleur » qu’un terminal classique car en visibilité de nombreuses stations de base. Cela se traduirait par une perte de capacité du réseau tant dans la cellule utilisée que dans les cellules voisines. Cette problématique de brouillage en co-canal crée un enjeu de coordination aux frontières. De plus, les conditions sous lesquelles opèrent aujourd'hui les réseaux mobiles pour coexister avec les autres utilisateurs opérant en bande adjacente ont été développées sur la base d’usage au sol. Il convient aujourd'hui de s’assurer qu’elles demeurent pertinentes dans le cas de l’emploi d’un drone connecté à un réseau mobile. Par exemple, la protection des radars opérant en dessous de 3,4 GHz imposerait des contraintes supérieures à celles requis pour les réseaux mobiles terrestres. Dans d’autre cas, comme pour faciliter la coexistence avec des stations météo opérant à 1700 MHz, il peut être opportun d’évaluer les possibilités de mise en œuvre de limites de rayonnements non désirés plus contraignantes pour les drones. La distinction du drone par rapport à un terminal mobile classique semble donc s’imposer pour des questions de bonne utilisation du spectre.
-----
[1] https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/modeles-reduits-et-drones-loisir
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/drones-usages-professionnels
[2] https://ec.europa.eu/transport/sites/transport/files/legislation/c20193824_en.pdf