Quand le courant ne passe plus entre les pilotes

Enquêtes de l’ANFR 19 octobre 2022
Nous sommes en Isère, à la limite du département du Rhône, une commune de 6 000 habitants, Saint-Quentin-Fallavier : entre une série de collines et un gisement fossilifère de carrières souterraines, un site radioélectrique s’élève. Une configuration a priori sans souci particulier…

Une configuration a priori sans souci particulier… Mais c’est sans compter que ce site, assigné à la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC), permet de contrôler les aéronefs en phase de décollage ou d'atterrissage. Et voilà qu’en pleine saison estivale, cette antenne utilisant différentes fréquences pour assurer la sécurité aérienne au profit des deux Centres « en Route » de la Navigation Aérienne (CRNA) de Bordeaux et d'Aix-en-Provence ainsi que par l'approche de l'aéroport de Lyon St-Exupéry commence à subir des brouillages.

En effet, l’exploitation des fréquences 117,975-137 MHz dédiées au service mobile aéronautique est réservée aux communications relatives à la sécurité et à la régularité des vols, principalement le long des routes aériennes civiles nationales ou internationales.  Les agents de l’aviation civile décrivent des bruits de crachotements « industriels », un crépitement provenant des équipements, mais aussi un bruit blanc se superposant aux communications en provenance des pilotes. Ces perturbations sont intermittentes, sans récurrence spécifique ni logique particulière : elles peuvent durer des heures puis soudainement s’arrêter pendant un long moment. Ce caractère discontinu du brouillage risque de complexifier la recherche de son origine. La DGAC n’a identifié aucune origine interne. Elle sollicite donc l’ANFR qui classe immédiatement comme prioritaire ce cas de brouillage d’un service critique.

C’est ainsi que deux agents du service interrégional Est de l’Agence se rendent sur place pour mener leur enquête. Les agents du Service de la Navigation Aérienne Centre-Est (SNA-CE) de Lyon leur prêtent main forte. Avant toute chose, il convient en effet d’effectuer des mesures des signaux perturbateurs...

Le brouillage, bien visible sur l’analyseur de spectre, est désormais caractérisé : les agents sautent à bord de leur véhicule laboratoire, afin de trouver son origine grâce au radiogoniomètre de toit. Leur trajet permet d’amplifier le signal au fil des kilomètres parcourus. Puis, lorsque les voies routières ne leur laissent plus d’autre option, ils décident de descendre pour continuer la poursuite à pied, munis d’un récepteur et d’une antenne directive… Bingo ! Leur course se termine au pied d’un poteau en béton soutenant une ligne de distribution d’électricité à haute tension. Et, en levant les yeux et en scrutant le sommet du pylône, nos agents confirment enfin leur diagnostic : le coupable semble être un isolateur, apparemment dégradé, qui pourrait bien correspondre au point d’émission des parasites.

 

Les pylônes électriques, comme les voitures, bénéficient heureusement d’une immatriculation ! Grâce à cette petite plaque métallique, l’ANFR a pu rapidement contacter le distributeur du réseau électrique et lui intimer l’ordre de mettre en conformité son installation (radio-)électrique. Il a été très réactif : moins d’une semaine après, des travaux ont été réalisés. Sur deux des trois isolateurs portés par le pylône, l’un était effectivement fendu et l’autre partiellement amputé. Et, depuis, les brouillages n’ont pas réapparu !

La perte d’un isolateur de ligne électrique est souvent consécutive à un impact de foudre, un orage accompagné de grêlons… mais aussi parfois aux plombs d’un chasseur.

Comment un isolateur peut perturber des fréquences réservées à la DGAC ?

Il s’agissait donc d’un problème de compatibilité électromagnétique (CEM) ! Ces parasites étaient causés par un phénomène d’écrêtage dû au manque d’isolation créant un bruit blanc radio qui se superpose aux signaux utiles. Ce type de rayonnement électromagnétique par des lignes électriques fluctue selon les conditions météorologiques. Ce phénomène n’aime pas la pluie. Et il s’accentue par temps sec, chaud et venteux. Ce qui explique le caractère intermittent du brouillage.

 

Ce brouillage étant météo-dépendant, une période d’observation s’en est suivie afin de valider avec la DGAC un retour à une exploitation normale de leurs installations radio. Le dossier est donc resté ouvert quelques jours pour que l’aviation civile puisse vérifier dans les conditions météorologiques propices (temps sec, chaud et venteux) et non propices (pluie). Le dossier a finalement été classé.      

 

Pour résoudre les brouillages causés par des parasites émis par des lignes électriques, l’ANFR teste actuellement des équipements basés sur la technologie « ultrasons », notamment une parabole et une caméra acoustiques. Pour ce dossier, une parabole acoustique, semblable à celles utilisées pour capter les sons émis entre chauve-souris, a été testée pour vérifier l’efficacité des travaux réalisés par l’entreprise de distribution électrique et vérifier que les poteaux adjacents ne présentaient pas eux-mêmes des problèmes.

 

En savoir plus

 

Comment des lignes et des installations de transport d’électricité peuvent devenir une source de brouillage ?

 

Plus de 35 % des brouillages signalés à l’ANFR ont pour origine un problème de compatibilité électromagnétique (CEM), c’est-à-dire des signaux parasites émis par un appareil électrique ou électronique, industriel, domestique, ou un appareil radioélectrique.

Toute installation électrique peut, pour des problèmes de vieillissement ou des défauts, générer et être vecteur d’une énergie électromagnétique non désirée qui pourra perturber des services de radiocommunication. 

Les brouillages causés par des lignes et installations électriques traités par l’ANFR affectent généralement des réseaux de sécurité (DGAC, ministère de l’Intérieur) ou des radioamateurs.

 

Ce sont des étincelles ou des arcs électriques qui en sont à l’origine : elles se manifestent sous la forme de petites décharges électriques qui naissent à la surface d’un conducteur électrique porté à une forte tension. Chaque micro-décharge produit un petit claquement comparable à celui d’une décharge électrostatique. Cela peut dans certaines situations conduire à l’effet couronne. En conditions de laboratoire, où on peut appliquer aux câbles des tensions plus élevées que la normale, on peut faire apparaître dans l’obscurité un halo luminescent bleu/mauve pâle autour des câbles à haute tension, qui est visible à l’œil nu. C’est de là que vient le nom « d’effet couronne ».

Pour les lignes à haute tension, le gestionnaire du réseau cherche à réduire le phénomène autant que possible car il est aussi responsable de pertes dans les lignes. Les micro-décharges et l’effet couronne peuvent également être à l’origine de perturbations électromagnétiques dont la fréquence se situe généralement entre 150 kHz et 30 MHz.