Point 1.6 de la CMR-23 : faciliter l’essor des véhicules suborbitaux

18 octobre 2022
En juillet 2021 et à quelques jours d’écart, Richard Branson et Jeff Bezos ont pu effectuer leur premier voyage dans l’espace à bord de leurs véhicules suborbitaux. Les deux milliardaires ont concrétisé une aventure commencée en 2004, avec SpaceShipOne qui avait réalisé le premier vol d’un aéronef privé à une altitude avoisinant les 100 km, altitude usuellement considérée comme la frontière entre l’atmosphère et l’espace.

Cette expérience couronnée de succès avait ouvert la voie à plusieurs projets de développement de véhicules suborbitaux et notamment Richard Branson avec la compagnie Virgin Galactic, XCOR aerospace avec son avion-fusée dénommé Lynx  ou encore Jeff Bezos avec sa société Blue origin  et son lanceur réutilisable New Shepard. Ces actualités ont ainsi médiatisé le lancement du tourisme surborbital et bientôt spatial.

Pour l’heure, cette industrie se limite au transport de touristes souhaitant connaître les sensations d’un vol dans l’espace en apesanteur. Cependant les applications envisagées pour les véhicules suborbitaux sur le long terme sont beaucoup plus diversifiées :  lancement de satellites, transport de passagers ou le fret, manipulations de laboratoire en apesanteur…

Mais qu’est-ce au juste qu’un vol suborbital ?

L’altitude de 100 km (ligne de Kármán) est généralement considérée comme la frontière entre l’atmosphère et l’espace. A cette altitude, la portance aérodynamique n’est plus suffisante pour le vol d’un avion. Un vol devient suborbital lorsqu’il franchit cette limite, sans pour autant aller jusqu’à la mise en orbite de l’appareil.

Qu’est-ce que cela implique en matière de réglementation ?

Le développement attendu des vols suborbitaux nécessite de traiter la problématique règlementaire des radiocommunications, compte tenu de la séparation traditionnelle entre ce qui relève du spatial et ce qui relève de l’aéronautique :

  •  Lorsque l’aéronef n’est plus dans la « partie principale de l’atmosphère terrestre », il est alors, selon l’Article 1.64 du RR, considéré comme une station spatiale mais sans pour autant être considéré comme un satellite en orbite ;
  • La séparation avec les vols commerciaux doit être garantie aux altitudes basses, pour des raisons de sécurité, alors que la vitesse de l’engin peut être de plusieurs Mach[1].

Le point 1.6 de l’ordre du jour de la CMR de 2023 doit permettre de traiter ces aspects règlementaires pour permettre l’essor des vols suborbitaux.

Tout d’abord, il sera important de s’assurer que les décisions de la CMR-23 ne remettent pas en cause les utilisations actuelles des fréquences pour les lanceurs de satellites conventionnels, comme Ariane.

Plusieurs possibilités réglementaires s’offrent à la CMR-23 pour traiter ces problématiques et ainsi faciliter l’utilisation des fréquences pour les véhicules suborbitaux :

  • étendre le statut des stations terriennes ou des stations de Terre afin qu’elles couvrent l’ensemble des phases de vol, y compris dans l’espace. Obtenir une reconnaissance de cette faculté serait simple, mais il faudrait nécessairement déclarer ces stations sous dérogation du Règlement des radiocommunications (RR) via l’Article 4.4, c’est-à-dire sur une base de non protection et de non brouillage pour les phases de vol dans l’espace.
  • Ou considérer le véhicule suborbital, lorsqu’il atteint l’espace, comme une véritable station spatiale devant donc utiliser des fréquences réservées aux opérations spatiales.Cependant, il est préférable de conserver les mêmes systèmes au fil des différentes phases de vol. Il faudrait donc se limiter aux bandes communes entre services terrestres et spatiaux.

Quelles études sont en cours ?

Une analyse fonctionnelle est en cours pour identifier les besoins en spectre notamment pour les systèmes aéronautiques qui sont reconnus comme participant à la sécurité et dont l’usage dans l’espace serait jugé nécessaire. Il s’agit également de déterminer le niveau de sécurité qui doit être attaché à ces moyens de radiocommunications lorsque le vol intervient dans l’espace.

Dans le cadre du programme de ciel unique européen SESAR, une analyse vise à considérer  la gestion du trafic aérien dans les espaces partagés entre les véhicules suborbitaux et avions. Doivent-ils être gérés comme cela se fait dans les espaces aériens partagés où circulent les avions conventionnels, ou bien doit-on seulement s’assurer d’une bonne intégration temporaire des véhicules suborbitaux lorsqu’ils traversent les espaces aériens partagés avec l’aviation commerciale? Ces avancées pourront alimenter les travaux en cours à l’OACI et l’UIT au GT-5B.

Le point 1.6 de la CMR-23 est donc essentiellement règlementaire et touche à la question délicate de la sécurité de ces vols, y compris vis-à-vis du trafic aérien. Une fois les différents usages mieux caractérisés, il s’agira alors d’approfondir les options techniques et règlementaires pour la CMR-27.


[1] Unité de mesure de vitesse formée par le rapport entre la vitesse d'un mobile et la vitesse du son.