Le trou noir au centre de notre galaxie

Satellites 18 octobre 2022
Cinq ans de traitements de mesures, un consortium de plus de 80 centres de recherche, près de 300 chercheurs, c’est ce qui a permis une incroyable découverte publiée en mai : le premier trou noir au centre de notre galaxie a été « photographié » !

Jusqu’à présent personne n’avait été en mesure de mettre en image ce trou noir super massif nommé Sagittaire A, « proche » de notre planète. Ces observations ont débuté en 2017 et viennent d’être publiées dans une série d’articles du journal d’astrophysique[1] d’Even Horizon Telescope (EHT).

Une source radioélectrique se situant dans la constellation du Sagittaire, considérée comme étant proche du centre de notre galaxie, était surveillée depuis des décennies. Les observations ont révélé une masse extrêmement élevée, 4 millions de fois supérieure à la masse du Soleil, ainsi qu’une immobilité presque parfaite par rapport à la dynamique de notre galaxie. L’association de ces deux conclusions ont permis de conclure que Sagittaire A était un trou noir super massif : c’est une opportunité unique d’obtenir une image directe d’un trou noir et de son disque d’accrétion. En effet, un premier trou noir avait été observé dans la galaxie Messier 87 (M87), mais bien plus éloigné de nous. Les comparaisons des observations faites entre M87, davantage massif et beaucoup plus « actif », et Sagittaire A pourraient permettre de mieux appréhender les causes des cycles observés dans la puissance d’accrétion ainsi que dans les jets de matière.

Les caractéristiques des trous noirs

Les trous noirs comme M87 ou Sagittaire A sont modélisés par un objet central sans luminosité (le trou noir lui-même) entouré d’un disque d’accrétion (anneau brillant) géométriquement épais et optiquement mince. Par définition, le trou noir absorbe tout (même les photons), du fait de sa gravité gigantesque et n’émet donc absolument rien. L’unique moyen de le mesurer et de le caractériser réside dans l’examen des propriétés de son disque d’accrétion. Ce disque est formé de gaz et de poussières en rotation autour du trou noir. Généralement, les couches radiales du disque frottent les unes contre les autres et transforment une partie de l’énergie mécanique en chaleur. Les disques d’accrétion convertissent ainsi l’énergie gravitationnelle en énergie thermique ou rayonnante. Au sommet des disques peuvent apparaître des jets de plasma. Il n’y pas à ce jour de modèle qui fasse consensus sur ces projections de jets, mais deux scenarios sont possibles : ces jets sont soit des écoulements à dominante magnétique alimentés par l’énergie de rotation du trou noir, soit des vents collimatés magnétiquement provenant du disque d’accrétion environnant.

Un trou noir est aussi caractérisé par son horizon (une surface), dit « horizon des évènements » ou encore « rayon de Schwarzschild », se trouvant à distance de la singularité centrale. Jusqu’à cette distance, rien, pas même un photon, ne peut échapper au champ gravitationnel du trou noir. Cela traduit le fait qu’en deçà de cette distance, la vitesse de libération de l’attraction gravitationnelle serait supérieure à la vitesse de la lumière. Si cette notion peut avoir un sens théorique, elle n’est pas réellement observable.

Rappelons aussi que ces objets massifs courbent l’espace-temps, dilatant le temps à mesure que l’on se rapproche de l’objet. Mais le grand mystère réside dans ce que contient réellement l’objet dont le centre est nommé « singularité ».

Quelles différences entre M87 et Sagittaire A ?

Sagittaire A se trouve à environ 27 000 années-lumière de la Terre. Cela signifie que les observations faites en avril 2017 correspondent à la lumière émise au moment de la disparition des derniers Néandertaliens il y a plus de 40 000 ans . Quant à M87, il est bien plus lointain, à 55 millions années-lumière. Il est aussi 1 500 fois plus massif que Sagittaire A, soit environ 6,2 milliards de fois la masse du Soleil.

La grande différence de masse entre les deux trous noirs implique de grandes différences de période de rotation entre ces deux trous noirs. Ici nous allons parler de l'ISCO (orbite circulaire stable la plus interne), c’est-à-dire l’orbite circulaire dans laquelle une particule peut orbiter de manière stable autour d’un objet massif en respectant la relativité générale, qui peut être aussi vu comme le bord intérieur du disque d’accrétion. L’ISCO est fonction uniquement de la masse du trou noir et de sa vitesse de rotation intrinsèque. 
Pour M87, la période de rotation du disque d’accrétion est évaluée à 5 jours (si M87 est considéré comme fixe) ou à 1 mois (s’il est considéré comme tournant à sa vitesse maximale) pour des orbites progrades, c’est-à-dire où le disque et le trou noir tournent dans le même sens. Pour Sagittaire A, on évalue la période entre 4 à 30 minutes. Ceci explique en partie que la structure de M87 évolue peu durant une nuit de mesure, ce qui n’est pas le cas de celle de Sagittaire A, la luminosité et la configuration du gaz autour de Sagittaire A changeant rapidement pendant la nuit.

 

Le rôle du spectre

Le rayonnement de Sagittaire A a été mesuré dans des bandes de radioastronomie de longueur d’onde allant de 1 m jusqu’aux bandes des rayons X (excepté les bandes entre 1 µm et 1 nm - en raison des atténuations considérables à ces longueur d’onde par des poussières dans le plan galactique). Dans le cadre des études menées en avril 2017, les observations ont été faites, pour le spectre radio, à 22,223 GHz, 43,135 GHz, 86 GHz, 227,1 GHz et 229,1 GHz. Les bandes utilisées pour l’observation sont choisies en fonction de la règlementation internationale :

 

  • Les bandes 226-231,5 GHz et 86-92 GHz sont couvertes par l’article 5 340 du Règlement des radiocommunications (bandes purement passives où les émissions d’origine humaine sont prohibées) garantissant aux observatoires passifs une protection contre toute pollution électromagnétique humaine. 
  • Les autres bandes 22,21-22,5 GHz et 42,5-43,5 GHz sont attribuées à la radioastronomie à titre primaire et ne présentent donc pas le même degré de protection que les deux bandes précédentes : les observatoires doivent coexister avec des émetteurs d’autres services et la protection des observations peut se faire par exemple en assurant une distance suffisante entre émetteur actif et observatoire.

Sagittaire A se caractérise par des émissions relativement faibles dans son spectre global, environ 100 fois celles du Soleil, qui le rendrait invisible depuis la Terre si il se situait dans une autre galaxie. Les mesures ont été effectuées entre les 5 et 11 Avril 2017 à l’aide de 8 stations réparties sur 6 sites à travers le globe.  L’utilisation de différents télescopes positionnés à des endroits éloignés les uns des autres sur la Terre permet de constituer un interféromètre à très longue ligne de base. Ce procédé permet, grâce aux très grandes résolutions atteintes, d’observer finement la structure des objets pointés ainsi que leur positionnement précis dans l’Univers. L’observation de Sagittaire A à différentes fréquences permet la caractérisation précise de cet objet. Ainsi, dans les rayons X, Sagittaire A apparaît comme une source persistante de rayonnement thermique. Ce rayonnement provient de la décélération des particules dans le plasma chaud à la frontière du rayon de Bondi, rayon définissant, dans la matière environnant le trou noir, la distance à partir de laquelle la matière tombe sous son influence et se met donc à former le disque d’accrétion, à laquelle s’associent des éruptions non thermiques centrée sur le trou noir. Dans le proche infrarouge, les mesures de Sagittaire A révèlent aussi une source très variable avec des pics d’émission observés plus fréquemment qu’aux rayons X. Les mesures en bande millimétrique ont quant à elles permis de mettre au jour un flux polarisé linéairement dans une région correspondant à environ 10 rayons de Schwarzschild indiquant la présence d’un flux d’accrétion magnétisé et dense s’étendant jusqu’au rayon de Bondi.  

Les études menées lors des mesures d’avril à 22 et 43 GHz[2] ont tendance à démontrer que la structure intrinsèque de sagittaire A est presque circulaire. Les observations d’élongations importantes à l’Ouest et à l’Est du trou noir seraient davantage liées aux effets de diffusion par les milieux interstellaires.

L’EHT se compose des télescopes du tableau 1, mais durant la mesure de l’EHT d’autres télescopes ou groupes de télescopes observaient Sagittaire A dans d’autres bandes, comme le montre la Figure 3.

 

Tableau 1 : liste des radiotélescopes ayant réalisé des mesures sur Sagittaire A en 2017

Fréquence VLBI Nom du télescope Position Pays
230 GHz EHT ALMA (Atacama Large Millimeter/Submillimiter Array) Haut plateau de Chajnantor Chili
230 GHz EHT APEX (Atacama Pathfinder Experiment) Haut plateau de Chajnantor Chili
230 GHz EHT LMT (Large Millimeter Telescope Alfonso Serrano) Volcan Sierra Negra Mexique
230 GHz EHT JCMT (James Clerk Maxwell Telescope) Maunakea Hawaii
230 GHz EHT SMA (Submillimeter Array) Maunakea Hawaii
230 GHz EHT IRAM (Institut de la Radioastronomie Millimétrique) Pico Veleta Spain
230 GHz EHT SMT (Submillimeter Telescope) Mt. Graham Arizona
230 GHz EHT SPT (South Pole Telescope) Antarctic Antarctic
22/43 GHz EAVN East Asian VLBi Network compose de nombreux télescope japonais/coréen et chinois N/A N/A
86 GHz GMVA The global 3 mm VLBI Array composé de télescope Européen (Effelsberg, Noema…), nord-américain    
Optique/IR VLT Observatoire du Cerro Paranal Atacama Chili
X ray SWFIT Télescope spatiale de la NASA En orbite N/A
X ray CHANDRA Télescope spatiale de la NASA En orbite N/A
X ray NuSTAR Télescope spatiale de la NASA En orbite N/A

Des calculs complexes et précis

Les 5 années qui se sont écoulées entre les mesures d’avril 2017 et les premières images de Sagittaire A ont été mises à profit pour traiter les données mesurées. En effet, les données brutes intégrées dans les différentes bandes de fréquence ont nécessité des traitements du signal très spécifiques et ont dû être introduites et combinées dans différents modèles numériques. Par exemple, il faut estimer les erreurs de phase induites par les turbulences atmosphériques et les extraire de la mesure. A cela, il faut ajouter que les observations que l’on fait d’un astre lointain ne sont pas nécessairement représentatives de son image réelle car la diffusion des ondes par le milieu interstellaire provoque un élargissement de l’image de l’objet observé. Il est donc nécessaire de faire une estimation de cette diffusion à l’aide de modèles pour corriger les mesures enregistrées. Enfin, il faut bien entendu ajouter les corrections liées aux « décalage vers le rouge » des émissions (associé à l’expansion de l’univers et à la gravité importante de l’objet) et aux positionnements apparents de l’objet puisque les émissions reçues sont déviées elles aussi par la gravité de l’objet.

L’image finale de la Figure 5, a été produite en faisant la moyenne de milliers d'images créées à l'aide de différentes méthodes de calcul, qui correspondent toutes avec précision aux données issues des mesures. Cette image moyenne conserve les caractéristiques les plus fréquemment observées dans les images variées et supprime les caractéristiques qui apparaissent rarement. L’ensemble des images peut également être décomposé en quatre groupes basés sur des caractéristiques similaires et apparaissant dans la rangée du bas : les hauteurs des barres indiquent les « poids » relatifs de chaque forme à l'image moyenne en haut.

Au-delà de ces images, les mesures entreprises en 2017 ont permis de valider ou d’affiner les caractéristiques de Sagittaire A, comme sa masse, son diamètre, sa brillance, le diamètre angulaire de son ombre. Les données extraites améliorent notre compréhension des trous noirs et de leur disque d’accrétion.

 

[1] Event Horizon Telescope Collaboration, Akiyama, K., Alberdi, A., et al.2022a, ApJL, 930, L12 (Paper I)

[2] The Intrinsic Structure of Sagittarius A* at 1.3cm and 7mm, Ilje Cho et al 2022 ApJ 926 108