L’avenir de la bande 6 GHz haute : résoudre la quadrature du cercle ?

Coordination 17 juin 2025

Jusqu’à une date récente, lorsque vous interrogiez un expert radio sur les possibilités d’utilisation en partage d’une même bande de fréquences par des équipements WiFi et par des réseaux mobiles de type 4G ou 5G, la réponse était toujours négative. Pourtant, aucune analyse approfondie n’avait jamais été réalisée. Cette lacune est désormais comblée : après deux ans de travaux, les experts de la CEPT apporteront quelques éléments de réponse avec la publication prochaine du rapport ECC 366, consacré à ce sujet

En effet, la concurrence reste vive entre les industries du WiFi et des réseaux mobiles pour l’usage de la bande 6 GHz haute (6 425-7 125 MHz). L’idée que le partage du spectre puisse permettre de satisfaire les deux parties a ainsi conduit la CEPT et la Commission européenne à envisager sérieusement la faisabilité d’un tel partage.

Un constat, plusieurs options

Les résultats des études confortent tout d’abord ce qui était déjà communément admis : lorsqu’ils tentent d’utiliser une bande mobile, les équipements WiFi en milieu urbain, bien qu’ils soient le plus souvent installés à l’intérieur des bâtiments, sont vulnérables à un brouillage par les stations de base du réseau mobile installées sur les toits. L’ANFR a également constaté lors de grands évènements que ces brouillages peuvent se produire même lorsque WiFi et réseaux mobiles fonctionnent dans deux bandes adjacentes. Les réseaux mobiles et les systèmes WiFi ne pourraient donc coexister dans la même zone géographique et dans une même bande qu’au prix de contraintes fortes sur l’un ou l’autre des systèmes.

Au départ de ses travaux, la CEPT avait laissé libre cours à des idées innovantes :

  • Transformer les smartphones (qui reçoivent à la fois le WiFi et les réseaux mobiles) en réseau de capteurs pour signaler la présence de l’une ou l’autre des technologies dans leur voisinage ;
  • Ou recourir à des bases de données régulièrement mises à jour pour organiser un partage géographique, fréquentiel ou temporel.  

 

Néanmoins, une seule piste a finalement été approfondie : limiter la couverture des réseaux mobiles à l’extérieur des bâtiments en confinant l’usage du WiFi à l’intérieur, tout en améliorant en complément la détection des réseaux mobiles par les WiFi.

Un réseau mobile qui, dans cette bande, ne couvrirait que l’extérieur des bâtiments 

Le Royaume-Uni est à l’origine de la proposition visant à limiter la couverture du réseau mobile à l’extérieur des bâtiments. Il s’agirait de réduire très fortement la puissance des stations de base mobiles : avec l’atténuation due aux murs, le WiFi pourrait utiliser une partie de cette bande à l’intérieur.

Plusieurs arguments en faveur de cette approche ont été avancés :

  • Le nombre croissant de bâtiments à grande efficacité thermique, qui atténuent fortement les ondes radio ;
  • Les solutions technologiques qui permettent désormais aux opérateurs mobiles de tirer parti des accès WiFi pour fournir leurs services ;
  • Le bilan énergétique, qui favorise le recours au WiFi par rapport au réseau mobile.

 

Toutefois, compte tenu de la complexité des accords entre acteurs qui seraient nécessaires pour que les opérateurs puissent partout tirer parti de l’utilisation du WiFi à l’intérieur des bâtiments, une telle perspective ne pourrait voir le jour qu’à très long terme.

En outre, le trafic des réseaux mobiles concerne très majoritairement des utilisateurs installés à l’intérieur des bâtiments plutôt qu’en plein air : pour un opérateur, investir dans le matériel et les licences nécessaires à l’exploitation d’une nouvelle bande pour aboutir à ne pas couvrir l’essentiel de ses clients peut sembler paradoxal.

Enfin, des stations de base moins puissantes conduiraient à une baisse de la qualité de service dans les zones de transition entre intérieur et extérieur, donc notamment dans des zones extérieures supposées couvertes par les réseaux mobiles. Cette idée pourrait ainsi remettre en question la logique qui s’était installée depuis le début de la téléphonie mobile, selon laquelle les opérateurs répondent aux besoins de leurs abonnés en réutilisant le plus possible leurs sites déjà construits. En effet, ces défauts de couverture pourraient conduire les opérateurs mobiles à densifier leurs réseaux pour améliorer la couverture des zones de transition. Cela résulterait en une situation « perdant-perdant » : perte de rentabilité économique et dégradation écologique pour les opérateurs, alors même que le WiFi verrait croître les risques de perturbation avec la multiplication de sources de brouillage proches des espaces intérieurs.

Des mécanismes de détection à perfectionner

Les systèmes WiFi disposent déjà de mécanismes d’évitement des brouillages, calibrés pour réduire les perturbations entre points d’accès WiFi voisins. Cependant, ils ne sont pas conçus pour protéger des effets des réseaux mobiles. Le rapport montre ainsi qu’un partage de bande entre WiFi et réseaux mobiles nécessiterait une amélioration de la détection des réseaux mobiles par les points d’accès WiFi. Plusieurs solutions ont été envisagées :

  • Les acteurs de l’industrie WiFi ont suggéré que les stations de base des réseaux mobiles puissent diffuser un signal-balise de type WiFi (IEEE 802.11 bc) qui minimiserait l’impact sur la norme et serait exploitable par des équipements WiFi déjà disponibles sur le marché nord-américain ; le problème serait ainsi transféré à la normalisation des réseaux mobiles ;
  • A l’inverse, les acteurs de l’industrie mobile ont proposé que les points d’accès WiFi puissent détecter la voie balise du réseau mobile (SSB) qui permet la synchronisation du terminal mobile avec le réseau ; mais dans ce cas, une évolution substantielle des normes du WiFi serait requise ;
  • Enfin, un équipementier mobile a proposé une solution « technologiquement neutre » fondée sur la diffusion d’un message porté par une modulation simple (OOK – On/Off Keying) du réseau mobile vers le point d’accès WiFi, imposant des développements normatifs de part et d’autre.   

            

Quelle que soit l’option choisie, imposer la diffusion d’un signal spécifique supposera aussi de la maintenir dans le long terme : cela doit s’envisager avec prudence, car ce mécanisme peut contraindre à l’avenir les possibilités d’évolution des deux technologies dans cette bande de fréquences.

La réflexion continue…

La question d’une bande de garde éventuelle entre les deux services est aussi apparue, pour faciliter la séparation entre les deux types de signaux et limiter le coût des filtres nécessaires. Et, dans les endroits hors couverture des réseaux mobiles, certains souhaiteraient aussi permettre au WiFi d’utiliser toute la bande 6 GHz haute, et pas seulement la partie réservée au WiFi...

En conclusion, cette analyse a ainsi ouvert de premières pistes pour partager la bande entre le WiFi et les réseaux mobiles sans restriction de puissance, en fonction des besoins en fréquence respectifs. Mais la complexité et les limites des options étudiées montrent toute la difficulté de l’entreprise. Une seule conclusion s’impose : le feuilleton de la bande 6GHz haute n’est pas terminé !