L’espace lointain est aussi… la source du temps !

17 décembre 2020

Le temps n’était jadis rythmé que par des changements observables : la marche du soleil, l’alternance du jour et de la nuit, la succession des saisons et tous les cycles de la vie. Le besoin d’uniformiser le temps entre chaque région du monde n’est apparu qu’avec le développement de transports rapides, comme le chemin de fer. C’est ainsi que, quelques années après avoir imaginé les fuseaux horaires, une première référence internationale fut fixée en 1884 : le GMT (Greenwich Mean Time) qui correspond à l’heure solaire moyenne au méridien de Greenwich.

Le GMT est fondé sur la rotation de la Terre. Mais la vitesse de rotation de la Terre n’est pas tout à fait constante : elle peut varier de plusieurs millisecondes chaque jour. Dès 1972, une nouvelle référence a été introduite, l’UT (Universal Time). Comme le GMT, l’UT a retenu Greewich comme point d’origine. Il existe plusieurs déclinaisons de l’UT, de l’UT0 à l’UT2, en fonction des ajustements apportés par rapport aux fluctuations de la rotation terrestre. L’UT1 est la plus utilisée. Pour évaluer l’UT1, il faut réussir à positionner parfaitement la Terre dans l’espace : cela se fait en observant le passage d’objets célestes très éloignés de la Terre, et notamment des quasars (des astres extrêmement lumineux). Il apparaît ainsi que l’UT1 n’est pas d’une régularité parfaite, du fait de l’influence d’un grand nombre de facteurs (Lune, Soleil, géologie, etc.) sur la rotation de la Terre.

Tandis que l’on recherchait ainsi le temps en se tournant vers l’espace et l’infiniment grand, une démarche simultanée tentait de le mesurer à partir de l’infiniment petit. C’est ainsi qu’a été établi le TAI (Temps Atomique International), grâce à un grand nombre d’horloges atomiques réparties sur le globe. L’avantage du TAI est que sa régularité n’est en rien altérée par les divers facteurs qui influent sur l’UT1 : il est totalement indépendant de la rotation de la Terre. Son origine est conventionnellement fixée au 1er janvier 1958. A partir de cette date, c’est le battement du Césium (pour la plupart des horloges) qui décompte le temps en jours, heures, minutes et secondes.

La synthèse entre ces deux sources de temps a été faite par le Temps universel coordonné, ou UTC. Défini par la Recommandation UIT-R  TF.460-6), il s’agit du TAI, périodiquement rectifié en fonction des écarts constatés avec l’UT1. Cet écart ne doit jamais dépasser à 0,9 s. Lorsque la dérive de l’UT1 s’approche de cette limite, une seconde intercalaire est ajoutée à l’UTC. Certains Etats, dont la France et les Etats-Unis, avaient proposé de mettre à l’ordre du jour de la Conférence mondiale des radiocommunications de 2015 (CMR-15) la fin de cette pratique de la seconde intercalaire, compte tenu des risques que cette mise à jour (impossible à prévoir plus de six mois à l’avance) fait peser dans les systèmes d’information et de communication. Cela n’a pas été tranché lors de la CMR-15, qui a seulement ajourné le sujet jusqu’en 2023. <link toutes-les-actualites actualites clap-de-fin-de-la-cmr-19-place-a-la-cmr-23>La CMR-23 devra donc prendre une décision sur l’avenir de la seconde intercalaire.

Les radiotéléscopes à la poursuite d’UT1 aux confins de l’espace

L’observation du temps de rotation de la Terre se fait par l’intermédiaire de l’observation d’objets célestes éloignés de la Terre, principalement par l’intermédiaire d’interféromètres à très longue base (VLBI – Very Long Base Interferometer). Ce procédé recourt à un grand nombre de télescopes répartis sur la surface du globe. Plus la distance qui sépare ces télescopes est importante, plus la résolution de la mesure est grande. Plus leur nombre est important, plus la sensibilité est grande. On atteint une résolution de l’ordre de la dizaine de milliseconde d’arc pour un VLBI formant une base de l’ordre de 8 000 km (radiotélescope européen associé à un équipement américain) et elle peut se réduire quelques microsecondes d’arc lorsque des radiotélescopes spatiaux sont impliqués dans la mesure (Hubble, par exemple).

Pour mesurer l’UT1, il faut d’abord choisir les stations du réseau qui formeront l’interféromètre, puis les bandes qui seront observées, ainsi que les sources extragalactiques à capter. Ces sources lointaines sont considérées comme immobiles. Bien entendu, il faut connaitre la position précise des stations en tenant compte des mouvements de la croute terrestre, mais aussi les effets de l’atmosphère terrestre (principalement par l’ionosphère et la troposphère) sur les signaux reçus. A partir de ces mesures, le calcul permet de déduire la valeur d’UT1.

Ces mesures sont réalisées par le VGOS (VLBI Global Observing System), programme développé par l’IVS (International VLBI Service for Geodesy and Astrometry) dédié aux observations géodésiques, géophysiques, ou astrométriques. Ces besoins ont été évalués comme devant déterminer la position de la Terre dans l’espace à 1 mm près, tandis que ses variations de vitesse sont calculées avec une précision de 0,1 mm/an !

Grâce aux mesures réalisées par le VGOS, nous en savons plus :

  1. sur la longueur du jour : il tend à s’allonger d’environ 2 ms par siècle ;
  2. sur le pôle Nord, axe réel de rotation de la Terre : il n’est pas fixe spatialement et ne se situe pas sur le Pôle Nord géographique. La distance entre les deux points peut évoluer de plusieurs mètres. Son inclinaison, par ailleurs, ne cesse de s’accroître ;
  3. sur le temps universel : connu plus précisément, il permet l’alignement de l’UTC avec le temps atomique ;
  4. mais aussi sur la cinétique des plaques tectoniques.



Figure 1 : Stations du Réseau IVS – Crédit : IVS (https://ivscc.gsfc.nasa.gov)

Quelles bandes pour quelles mesures ?

Les bandes de fréquences utilisées pour la mesure de l’UT1 diffèrent de celles utilisées en radioastronomie classique. Elles se divisent en 4 sous-bandes entre 2 et 14 GHz. Ces sous-bandes peuvent couvrir jusqu’à 1 024 MHz par l’intermédiaire de  8 canaux de 32 à 128 MHz de largeur. On peut trouver 3.2-4.2 GHz, 4.6-5.6 GHz, 8.8-9.8 GHz et 11.6-12.6 GHz, mais les bandes peuvent être légèrement différentes suivant les cas (Figure 2). Etonnamment, quasiment aucune de ces bandes n’est aujourd’hui protégée par le règlement des radiocommunications de l’UIT.


Figure 2 : représentation des bandes de fréquences utilisées anciennement (bande S et X) et actuellement – Crédit : IVS


Figure 3 : évolution de la longueur du jour rapportée à 86400 s (soit un jour) en fonction des années. - Crédit : Observatoire de Paris : https://syrte.obspm.fr/~lambert/rotation/index.html

Depuis quelque temps, les scientifiques cherchent à obtenir une reconnaissance par l’UIT des fréquences utilisés par l’IVS. Les équipements étant de conception proche de ceux utilisés par les radioastronomes, le groupe de travail 7D « radioastronomie » de l’UIT-R est chargé de ces travaux. A ce stade, il rassemble les caractéristiques des systèmes pour détailler le lien qui existe entre le besoin opérationnel et les bandes utilisées. La reconnaissance des fréquences de la source du temps : un nouvel objectif pour une future CMR ?