Interview de Pierre Courbon – membre du conseil d’administration de l’ETSI

12 mars 2021

Vous avez été élu, lors de la dernière assemblée générale (AG), membre du conseil d’administration de l’ETSI (European telecommunications standards institute) pour un mandat de 3 ans. L’ETSI, c’est l’un des trois organismes de standardisation reconnus par l’Union Européenne, ouvert à plus de 900 organisations venant de plus de 65 pays des 5 continents, de la start-up américaine à la multinationale asiatique. Ce conseil d’administration contribue à la gouvernance de l’institut, assiste ou supervise une partie des actions du Directeur général, met en œuvre les décisions de l’AG et prépare les principales orientations stratégiques soumises à l’assemblée suivante.

Selon vous, quels sont les enjeux de la normalisation européenne et internationale et l’intérêt d’y contribuer activement ?

Les enjeux de cette normalisation sont multiples, notamment de veiller à ce que les normes ETSI impulsées par les acteurs du secteur accompagnent la transformation de l’économie vers le numérique, en permettant notamment l’interopérabilité, la concurrence, l’ouverture sécurisée de systèmes, notamment à partir de la recherche et développement.

L’une des orientations de l’ETSI est de de favoriser l’automatisation des réseaux à travers leur virtualisation et l’usage de l’intelligence artificielle, préparer de nouveaux services, notamment à faible latence, avec le cloud computing au plus proche des utilisateurs, tout en augmentant la sécurité et en prenant en compte les exigences environnementales.

L’un des enjeux du conseil d’administration de l’ETSI est de veiller au bon fonctionnement de l’Institut en développant ou validant des procédures, ou en proposant des outils de travail pour conserver la qualité des « livrables », synonyme de son attractivité en termes de membres et de reprises de ses normes en dehors de l’Europe.

Les représentants des trois administrations d’Etats membres présents au conseil ainsi que les conseillers de la Commission sont là pour veiller à l’ancrage européen de l’ETSI en tant qu’organisation européenne de normalisation reconnue par la Commission européenne. L’ETSI est en effet également un relais de politiques et de réglementations de l’Union Européenne. Les mises en œuvre à travers des actions de normalisation demandée par la Commission à l’ETSI, via des mandats ad hoc, permettront le déploiement de technologies interopérables respectant des critères et valeurs européennes. Le dialogue formel et informel sur les besoins de l’Union Européenne est nécessaire à tous les niveaux de l’ETSI, des rédacteurs des normes dans les groupes de travail au conseil d’administration. Sans ce dialogue, l’ETSI ne peut répondre exactement à ces demandes, qui concernent une petite partie des livrables que publie l’ETSI. La majorité des travaux au sein de l’ETSI est effectué d’une façon collaborative par les contributeurs, experts de leur entreprise ou de leur université. Un standard est la somme de documents et textes débattus, souvent au mot près. Les concepts apportés par ces acteurs façonnent l’écosystème qui en découle. Cela favorise l’entreprise ou le laboratoire qui a contribué. Cet organisme contributeur prend de l’avance devant les autres acteurs, qui seraient restés passifs. Il peut aussi avoir déposé un ou des brevets qui deviennent « essentiels » au standard en contrepartie de fortes contraintes imposées par l’institut à ses membres en obligation de donner des licences à des coûts raisonnables, fixés par la jurisprudence. Ce type de brevet peut rémunérer ce travail et la recherche en amont. L’objectif de ces livrables est souvent de favoriser l’interopérabilité des produits et des services dans un univers concurrentiel, aux bénéfices des consommateurs ou d’autres industries, si possible du monde entier. Etre acteur du processus normatif c’est aussi avoir un temps d’avance par rapport à ses concurrents.

Quels sont les apports de la normalisation dans votre domaine d’expertise, qui est celui des obligations légales des opérateurs de communications (exemple : appel d’urgence, système d’alerte à la population, interceptions et prestations annexes) ?

Mon rôle depuis plusieurs années au sein du Commissariat aux communications électroniques de Défense, entité dépendant du service de l’économie numérique du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance, a été de participer aux réunions de normalisation de l’ETSI et du 3GPP (organisme en charge des spécifications de la 4 et 5G des réseaux mobiles et, depuis peu, des accès fixes).

Cette participation permet de rencontrer des homologues, des constructeurs et des opérateurs. Ces groupes essaient de trouver les optimums techniques répondant aux besoins des Etats dans ce domaine, et des opérateurs en recherche de baisse de coûts et de nouveaux services. Cela permet aussi que ces livrables respectent les cadres réglementaires et législatifs français et des autres pays actifs dans ces instances. La France ne représente que moins de 3 % du marché mondial du secteur. Avec ce pourcentage, les seules exigences de l’Etat français ne permettent pas, en elles-mêmes, d’influencer ou de prioriser les développements des constructeurs et des éditeurs de logiciels du secteur. Ces travaux apportent un gain économique, des courbes d’expériences et permettent de mieux préparer les services de l’Etat, en les informant des évolutions apportées par les nouveaux standards du secteur, notamment ceux de la 5G.

A travers votre participation au Conseil d’administration de l’ETSI, quelles thématiques de normalisation structurantes et associées aux technologies radio avez-vous identifiées ?

Plusieurs développements impactant les technologies radio sont en cours au sein du Conseil :

  • L’élaboration d’un partenariat avec l’Open RAN, afin de reprendre et faire évoluer à terme et au cas par cas, des spécifications complémentaires à celles du 3GPP en livrables ETSI. En dehors des codes sources gérés par la Fondation Linux, qui ne font pas partie de l’accord, l’architecture et ces standards Open RAN permettent des ouvertures d’interfaces nouvelles. Cela peut apporter de nouvelles dimensions industrielles et d’innovations, un nouvel écosystème, sous respect de règles imposées par l’ETSI en qualité de standards et en termes de propriété intellectuelle, respectueuses des règles de la concurrence européenne.
  • la revue des deux processus de rédaction de livrables et leurs procédures. Certains de ces groupes traitent notamment de la radio :
    - les comités techniques « Technical Committees » (TC) produisent des normes pouvant appuyer la réglementation via les normes harmonisées ;
    - par ailleurs, des groupes de spécifications industriels « Industry Specification Groups» (ISG), rapides à mettre en place et qui ont en théorie une durée de vie courte. Ils sont ouverts à des sociétés non membres de l’ETSI, souvent des laboratoires universitaires. Ce sont des « start-ups » internes de l’ETSI, qui produisent un grand nombre de livrables ou rapports. En revanche, les ISG ne peuvent pas répondre à des commandes de l’Union Européenne pour produire des normes européennes harmonisées. Ces groupes travaillent parfois en doublon avec d’autres organismes de standardisation.


Un bilan et des réflexions sont en cours afin de mieux articuler ces deux processus complémentaires et faire des propositions.

Bien entendu, je reste à l’écoute des experts de l’ANFR qui interviennent ponctuellement dans les CT de l’institut actifs dans le domaine de la radio, secteur que je découvre, afin d’anticiper tout futur débat au Conseil sur ces questions ou tirer profit des retours d’expériences.