Coordonner la 5G en Mer des Caraïbes

02 juin 2020

La coordination aux frontières pour la 5G aux Antilles représente un véritable défi. L’extrême proximité des territoires voisins rend la cohabitation radioélectrique particulièrement ardue.

Par exemple, la carte ci-contre illustre l’environnement immédiat de la collectivité française d'Outre-mer de Saint-Martin : l’île d’Anguilla, dont le plan de fréquences est tout à fait différent, ne se situe qu’à environ 10 km. Cette situation n’a que peu de points communs avec celle de l’Europe, où les plans de fréquences des pays voisins ont tous la même structure que ceux de la métropole.

En effet, dans cette région du monde, les administrations ont, malgré la grande proximité des îles, adopté des plans de fréquences hétérogènes. Voisinent ainsi des plans de fréquences d’inspiration américaine, européenne, ou d’Asie-Pacifique (APT), tandis que la propagation au-dessus d’une mer chaude tend à amplifier les signaux brouilleurs ! La figure 1 illustre ces différences dans la bande des 700 MHz, l’une des bandes d’accueil de la 5G : le plan européen (deux lignes du sommet du schéma) s’appuie par exemple sur deux blocs principaux, le bloc uplink (du terminal vers le relais) allant de 703 à 733 MHz. En revanche, le plan américain (deux lignes du bas du schéma) prévoit quant à lui quatre blocs plus étroits, et notamment un bloc downlink (du relais vers le terminal) allant de 728 à 756 MHz. Entre 728 et 733 MHz, les deux usages du spectre sont donc antagonistes.

Figure 1 : Les plans de fréquences de la bande 700 dans les Antilles

On considère en effet que les plans deviennent incompatibles lorsque les mêmes fréquences sont utilisées en liaison montante (uplink) dans un plan et descendante (downlink) dans l’autre. La figure 2 illustre ainsi les brouillages récurrents qui apparaîtront en l’absence de coordination : les zones roses y indiquent les perturbations qui peuvent se produire. On voit ainsi que le signal, nécessairement puissant, émis d’un relais américain utilisant la bande 85 (728-734 MHz) peut, à proximité d’un territoire fonctionnant au plan européen, empêcher le relais européen d’écouter « ses » terminaux fonctionnant au sommet de la bande 703-733 MHz. Il en va de même plus haut dans la bande, où les relais européens peuvent réciproquement aveugler la bande 13 uplink américaine !

Figure 2 : incompatibilités entre les plans

La France applique les mêmes plans de fréquences aux Antilles qu’en métropole, dans une logique de continuité territoriale. Ce plan européen implique donc des compromis avec les administrations voisines. Pour Saint-Martin, les négociations ont lieu avec les Pays-Bas (pour Saba et Saint-Eustache) et avec les Etats indépendants de Sint-Maartin et Anguilla. Pour les départements de la Guadeloupe  et de la Martinique, les discussions avec Sainte-Lucie et la Dominique se font au travers de l’ECTEL (Eastern Caribbean Telecommunications Authority), mais également directement auprès des administrations de Montserrat et d’Antigua.

Afin de surmonter ces difficultés, il faudra donc, pour la 5G en bande 700 MHz, répartir équitablement les fréquences incompatibles entre pays voisins. A défaut de s’accorder sur ce partage, il faudra accepter des restrictions fortes en termes de puissance, de performance ou de zones de déploiement.

Il faudra également tenir compte du mode de fonctionnement choisi par les Etats voisins, puisque les réseaux peuvent être exploités en FDD (blocs dédiés à un « sens de circulation ») ou en TDD (fonctionnement dans le même bloc, en alternat). Cela supposera ainsi une synchronisation temporelle entre stations proches de part et d’autre des frontières.

Pour la 5G dans la bande 3,4 – 3,8 GHz, la situation sera plus simple : cette bande dispose d’un statut primaire sur le continent américain (Région 2). Elle doit néanmoins garantir la protection de stations terriennes de réception satellite préexistantes.

En conclusion, pour la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe, des autorisations et des déploiements 5G sont envisageables sans accord. Des contraintes devront néanmoins s’appliquer a posteriori pour aboutir à un accès équitable au spectre.

En revanche, la situation s’annonce plus complexe autour de Saint-Martin où le déploiement nécesite de renégocier des accords existants. En effet, les seuils actuels de coordination ne permettent pas d’éviter les brouillages entre stations de base dans le cas d’une utilisation non synchronisée. Les travaux ont commencé, mais beaucoup d’informations manquent encore pour identifier les problèmes potentiels et les solutions possibles. Des contraintes seront nécessaires pour assurer la coexistence avec les îles aux alentours, et les futurs accords devront les circonscrire avant de lancer les déploiements.