Les enquêtes de l’ANFR - A la rescousse des données scientifiques du Marion Dufresne dans les Terres Australes

Enquêtes de l’ANFR 21 décembre 2021

Kerguelen, Tromelin, Terre Adélie… Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) sont souvent synonyme de solitude et d’absence totale d’ondes – à part bien sûr celles des flots, battus par les vents. Le dernier lieu, me direz-vous, où l’on pourrait imaginer voir se dérouler une enquête de l’ANFR ?

Et pourtant, l’ANFR a récemment été saisie d’un cas de brouillage pour le moins insolite : le signal GNSS (GPS, Galileo) reçu sur le navire « Marion Dufresne », grand navire scientifique et polyvalent qui permet le lien avec les TAAF, était perturbé et empêchait le bon fonctionnement d’un capteur embarqué dans le cadre du programme scientifique MAP-IO (MARION DUFRESNE ATMOSPHERIC PROGRAM INDIAN OCEAN).

Ce brouillage s’avérait particulièrement critique, jusqu’à mettre en péril ce programme scientifique ambitieux dont l’objectif est d'étudier la composition et le comportement de l'atmosphère, ainsi que les processus océan-atmosphère ayant un impact sur le climat régional et la prévision numérique du temps.

Une affaire passionnante à régler pour nos agents mais… située à plusieurs milliers de kilomètres de la métropole : le Marion Dufresne a en effet son port d’attache à La Réunion et fait constamment des rotations vers les TAAF ! Heureusement pour la mission scientifique, l’ANFR est présente sur l’ensemble du territoire métropolitain et ultra-marin : ses agents de contrôle et de ses équipements de mesure peuvent se projeter partout où bat le pavillon français.

Tandis que nos agents commençaient, non sans perplexité, à se documenter sur les précautions à prendre pour ne déranger ni les manchots ni les végétaux, une nouvelle rassurante leur parvint : des éléments complémentaires fournis par le laboratoire de l’Atmosphère et des Cyclones (LACY) de l’université de La Réunion permirent d’identifier que le brouillage venait du navire lui-même car il perdurait, que le bateau soit en navigation au large ou à quai. Peut-être suffirait-il de monter à bord avec des équipements de mesure pour identifier plus précisément la source du signal perturbateur ?

L’expédition de quarante jours aux confins du globe se transforma ipso facto en mission minutée : il fallait viser un retour à quai du Marion Dufresne entre deux rotations vers les terres australes. Fin octobre 2021, l’intervention fut planifiée en urgence, le navire amiral étant à quai pour trois jours à La Réunion.

En raison de la crise de la COVID 19, cette intervention sur le navire nécessitait des mesures et des contrôles sanitaires très stricts pour éviter toute contamination potentielle de l’équipage maintenu en quarantaine. Cette attention était essentielle pour protéger les terres australes où le navire devait repartir. Notre agent, responsable de l’antenne de l’ANFR à La Réunion/Mayotte, ainsi qu’un ingénieur du programme de recherche MAP-IO, durent présenter toutes les garanties et revêtir combinaison blanche, masque, charlotte et sur-chaussures pour monter à bord !

Illustration 1 : Nicolas Marquestaut, Ingénieur Instrumentation, Observatoire des Sciences de l'Univers

Avec un récepteur portable et une antenne directive, notre agent se rendit sur le navire et réalisa plusieurs mesures spectrales à proximité de l’antenne GNSS affectée, qui se trouvait tout en haut de la mâture.

L’attention de notre enquêteur fut aussitôt attirée vers une antenne IRIDIUM toute proche de l’antenne GNSS. Cette antenne a vocation à surveiller l’activité sismo-volcanique en fond de mer. Or, son installation sur le navire correspondait avec le début de la mauvaise qualité de la réception GNSS.

Pour vérifier son hypothèse, l’agent demanda au bord de solliciter le système IRIDIUM en émission, par des transmissions de données. En pointant l’antenne directive du récepteur de mesure spectrale vers l’antenne IRIDIUM en émission, notre expert  put alors constater des remontées de bruits aléatoires sur le signal L1 du système GPS. Plus aucun doute ! L’antenne IRIDIUM était prise en flagrant délit : elle était bien à l’origine de toutes ces perturbations.

Illustration 2 : relevé spectral du signal brouilleur par l’ANFR

Cependant, il n’était pas question de couper le système IRIDIUM : il sert de secours de sécurité quand la V-SAT du navire rencontre un problème technique ! Il est essentiel sur le Marion Dufresne pour communiquer car c’est le seul réseau satellitaire totalement mondial qui couvre chaque point du globe, y compris les pôles.

Illustration 3 : antennes GNSS sur la mâture du Marion Dufresne

Pour parer à l’urgence, le Marion Dufresne devant reprendre sa route sans délai vers les Terres australes, notre agent préconisa de mieux découpler les antennes GNSS et Iridium sur le navire : concrètement, cela revenait à déplacer l’antenne GNSS pour l’éloigner de l’antenne IRIDIUM.

Les prochaines escales entre deux rotations du navire permettront donc la réalisation des travaux pour que l’antenne GNSS puisse accomplir sa mission : recueillir, lors des navigations en terres australes, des données relatives à la teneur en vapeur d’eau de l’atmosphère afin de contribuer à une meilleure connaissance du climat.

Pour en savoir plus :

Qu’est-ce que le GNSS ?

Le GNSS (Global Navigation Satellite System) est le système mondial de navigation par satellites. Il transmet des signaux à partir de constellations de satellites situés à plus de 20 000 km en moyenne orbite terrestre. Plusieurs systèmes existent : GPS, Galileo, Glonass, Beidu, .. Le GNSS fournit des données PNT (Position, Navigation, Temps) employées non seulement pour se positionner avec précision, mais également pour des besoins de synchronisation et de référence de temps, dans de nombreuses applications économiques, scientifiques et régaliennes : les transports (terrestres, fluviaux, aériens ou maritimes), les services de secours aux victimes, des applications scientifiques, la sécurisation des échanges de marchandises, le guidage des machines agricoles, les services qui ont besoin d’une référence de temps, comme les services de téléphonie et d’internet mobiles, la radiodiffusion et les réseaux de transport d’électricité ainsi que les transactions bancaires.

La disponibilité et la qualité des données GNSS revêtent un caractère crucial pour le maintien en condition opérationnelle de ces activités.

Quels sont les différents types de brouillages GNSS ?

Le brouillage du GNSS et un brouillage des fréquences dédiées au GNSS. Il empêche la bonne réception des signaux GNSS véhiculés à partir des satellites, et peut affecter la performance ou la disponibilité de services qui ont besoin de ces données. La cause d’un brouillage du GNSS peut être intentionnelle, comme l’utilisation d’un brouilleur GNSS, ou non intentionnelle, telle que des parasites électromagnétiques résultant d’un dysfonctionnement de systèmes radioélectriques ou électriques.

Les signaux du GNSS qui sont reçus de satellites présentent des niveaux très faibles, ce qui les rend vulnérables aux brouillages.

Quel est le rôle de l’ANFR ?

L’ANFR, dans le cadre de sa mission de Police du Spectre, a pris la mesure de l’enjeu majeur de la protection du GNSS et contribue de manière préventive et réactive à la lutte contre les brouillages GNSS. Le traitement d’un brouillage GNSS, suite à son signalement à l’ANFR, est une véritable investigation technique menée sur le terrain par des agents assermentés et habilités, équipés de matériels techniques sophistiqués afin de rechercher, identifier et localiser la cause du brouillage. Une fois l’équipement et le responsable du brouillage identifiés, l’ANFR formule des préconisations pour faire cesser le brouillage. L’ANFR peut le cas échéant notifier au responsable du brouillage une taxe forfaitaire de 450 € pour frais d’intervention, et lorsqu’elle souhaite que l’affaire soit poursuivie en justice, rédiger un procès-verbal d’infraction (PVI) transmis au Procureur.

Enfin, la sécurisation des fréquences GNSS ne concerne pas les seuls experts des radiofréquences. L’importance des enjeux sécuritaires et économiques que font peser les brouillages du GNSS de manière indifférenciée sur des structures publiques et privées de toutes tailles et de tous secteurs requiert l’implication du plus grand nombre. Afin de mobiliser tous les acteurs concernés, plusieurs actions pédagogiques sont menées par l’ANFR, notamment pour lutter contre la prolifération de brouilleurs illicites du GNSS.

L’ANFR bénéficie pour ses actions de contrôle de l’expertise et de la forte présence territoriale de sa Direction de Contrôle du Spectre en France métropolitaine  et dans les DOM, ainsi que  de deux antennes en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française.

Les affectataires des fréquences GNSS en France sont la DGAC, le CNES et le MINARM. Ils peuvent solliciter l’ANFR par une demande d’information brouillage (DIB) affectant des bandes de fréquences qui leur appartiennent.

L’ANFR a également développé un formulaire spécifique de demande d’enquête pour les utilisateurs de la bande de fréquences GNSS lorsqu’ils sont affectés par un brouillage du GNSS sans être affectataire de cette bande de fréquences. Il est disponible sur le site Internet de l’ANFR, rubrique «Contrôle du Spectre».