Le point 1.13 de l’ordre du jour de la CMR-19 : harmonisation des bandes millimétriques pour la 5G

29 avril 2019

A l’occasion du déploiement de la 5G, des technologies, jusqu’alors surtout employées pour des services professionnels, vont être utilisées à plus grande échelle et mises au service du grand public. Ce sera par exemple le cas pour les antennes actives : ce sont des matrices de minuscules émetteurs radio élémentaires, connectés individuellement à un amplificateur et à un déphaseur, ce qui permet d’orienter instantanément l’énergie du signal dans la direction utile (soit vers le terminal, soit vers le relais), évitant ainsi son gaspillage. Plus le nombre d’éléments est élevé, plus le faisceau peut être orienté avec précision.

Jusqu'alors, l’idée dominante était que les réseaux mobiles devaient fonctionner dans les bandes « en or », situées autour de 1 GHz : elles offrent en effet un bon compromis entre pertes de propagation faibles et taille réduite d’antenne. Mais l’apparition des antennes actives dans l’univers des réseaux ouverts au public ouvre désormais  la possibilité d’exploiter des fréquences beaucoup plus élevées,  jusqu’à atteindre les bandes « millimétriques » (le terme s’applique au-dessus de 30 GHz, où la longueur d’onde devient inférieure à 1 cm). En effet, il est possible avec ces faibles longueurs d’onde de placer sur une petite surface un grand nombre d’émetteurs élémentaires, par exemple 8x8 ou 16x16 éléments pour un relais et jusqu’à 4x4 éléments pour un terminal. L’augmentation de la directivité des antennes permet ainsi de compenser l’atténuation beaucoup plus forte que subissent ces fréquences élevées en se propageant. Et, comme ces bandes de plusieurs GHz permettent de tailler des canaux larges de centaines de MHz, des communications à des débits beaucoup plus élevés deviennent possibles.

En réalité, tout n’est pas si simple. Les obstacles atténueront beaucoup plus fortement le signal dans les bandes millimétriques que dans les bandes en or : malgré l’apport des antennes directives, les zones couvertes par chaque relais seront de seulement quelques centaines de mètres en espace ouvert. La 5G continuera donc à solliciter également les bandes plus basses, pour atteindre ses engagements de couverture.

Dans ce contexte, le point 1.13 de la CMR-19 vise à identifier mondialement les bandes de fréquences au-dessus de 24 GHz pour les IMT (International Mobile Telecommunications), qui recouvrent les technologies de radiotéléphonie mobile 3G, 4G et 5G, afin de faciliter le développement de la 5G dans ces bandes millimétriques harmonisées. Lors de la CMR-15, la liste des bandes à étudier avait déjà été dressée de façon exhaustive :

  • « 26 GHz » : 24,25-27,5 GHz ;
  • « 32 GHz » : 31,8-33,4 GHz ;
  • « 40 GHz » : 37-43,5 GHz ;
  • « 50 GHz » : 45,5-50,2 GHz et 50,4-52,6 GHz ;
  • « 66 GHz » : 66-71 GHz ;
  • « 70/80 GHz » : 71-76 GHz et 81-86 GHz.


Dès 2016, l’Europe, par l’intermédiaire d’un avis du RSPG, avait identifié la bande 24,25-27,5 GHz comme la « bande pionnière » au-dessus de  24 GHz. Cette bande est dorénavant harmonisée par la CEPT et l’Union européenne pour la 5G. Par ailleurs, les Etats membres de l’UE ont l’obligation, inscrite dans le nouveau code européen de communications électroniques, de mettre à disposition de la 5G au moins 1 GHz de spectre dans cette bande avant la fin 2020. Les autres bandes visées pour une utilisation ultérieure pour la 5G en Europe sont les bandes 40,5-43,5 GHz et la bande 66-71 GHz, soit une capacité totale de plus de 11 GHz.

Bien que les bandes millimétriques restent une terre de découverte pour les réseaux mobiles, elles sont déjà utilisées de longue date par de nombreux autres services, tels que les communications par satellite, les services scientifiques (observation de la Terre et radioastronomie) ou les faisceaux hertziens. La préparation de la CMR-19 et les travaux d’harmonisation de la bande 26 GHz ont donc consisté à définir les conditions de coexistence avec ces différents services, notamment les services spatiaux, compte tenu de l’impact potentiellement international des brouillages éventuels.

A six mois de la CMR-19, l’une des questions les plus critiques de la négociation sera la protection vis-à-vis des IMT de la bande passive adjacente, 23,6-24 GHz. Cette bande est en effet utilisée par quasiment tous les satellites d’observation de la Terre et reste essentielle pour les prévisions météorologiques dans le monde entier ainsi que pour l’étude de l’évolution du climat. L’Europe, à travers ses décisions d’harmonisation et ses propositions à la CMR-19, limite les rayonnements non désirés dans cette bande passive afin d’éviter de perturber les observations réalisées par ces satellites. La limite proposée synthétise de nombreuses études visant à minimiser les contraintes sur la 5G tout en protégeant efficacement les observations. Mais ces limites représentent tout de même une contrainte réelle pour l’industrie 5G, compte tenu des difficultés de filtrage avec les premières technologies d’antennes actives. De nombreux pays sollicitent donc des limites moins sévères pour faciliter le déploiement de la 5G, sans mesurer le risque pris pour les prévisions météorologiques ou les études de l’environnement. C’est notamment le cas des Etats-Unis, qui ont lancé leurs enchères sur la partie basse de la bande 26 GHz sans avoir prévu la protection de la bande passive, alors même qu’ils exploitent de nombreux satellites observant la Terre dans cette bande, et s’opposent en outre, du moins à ce stade des négociations, à toute protection spécifique de la bande.

Concernant le partage dans la bande avec les autres services, l’ANFR s’est assurée de la protection des services scientifiques (l’ESA et, en France, le CNES et MétéoFrance), qui disposent de 1,5 GHz de spectre dans cette bande pour collecter des données d’observation. Ces communications utilisaient auparavant les fréquences plus basses (bande S et bande X). Mais, pour répondre à l’augmentation régulière des débits qui prévaut aussi pour les échanges avec les satellites, elles vont de plus en plus s’appuyer sur la bande 26 GHz. Il est donc souhaitable que ces stations terriennes à 26 GHz, aujourd’hui peu nombreuses, puissent si nécessaire continuer à être déployées en fonction de l’utilisation de cette bande par les satellites scientifiques. Une question semblable se pose pour les stations terriennes de recherche spatiale dont le nombre est encore plus limité mais qui présentent une forte sensibilité au brouillage : elles reçoivent en effet des signaux de sondes spatiales très éloignées de la Terre. Enfin, les stations terriennes du service fixe par satellite peuvent aussi utiliser, à l’émission, une partie (600 MHz) de la bande, avec un diamètre d’antenne minimal de 4,5 m.

L’ANFR, en coopération avec les acteurs industriels intéressés, a également étudié, dans le cadre de l’UIT-R, la protection des satellites recevant dans la bande (service fixe par satellite et liaisons inter-satellite de l’EDRS, partenariat entre ESA et Airbus). Les études montrent que les satellites restent protégés avec une marge significative. Il sera néanmoins important que la CMR-19 s’inspire de la décision d’harmonisation européenne qui prévoit des mesures pour limiter les risques en excluant notamment le pointage des antennes 5G vers le ciel. Une autre question qui sera débattue à la CMR-19 est la limitation de la puissance des relais mobiles dans ces bandes, cette puissance étant déjà limitée par une disposition générique du Règlement des Radiocommunications. Toutes ces études, réalisées sur la base des hypothèses alors disponibles à l’UIT-R sur les caractéristiques de la 5G, devront être actualisées pour tenir compte de l’innovation en termes de technologie ou de services qui se dessine alors que la 5G se déploie dans plusieurs pays.

Les efforts engagés dans les modélisations des possibilités de partage à 26 GHz (réception satellite, stations terriennes, protection de l’exploration de la Terre par satellite en bande adjacente) ont été largement réutilisés pour les autres bandes à l’étude à la CMR-19. Mais chaque bande a ses propres particularités :

  • 32 GHz : l’ANFR a obtenu au niveau de l’UIT-R que la seule méthode soit « no change », ce qui permettra l’utilisation de cette bande pour les applications de radionavigation (atterrissage des avions en réalité augmentée) envisagées par plusieurs industriels français (Dassault, Airbus) ;
  • 40 GHz : la bande de fréquences proposée par l’Europe (40,5-43,5 GHz) est largement soutenue par les autres pays de la Région 1 (Europe, Afrique, Moyen-Orient), tandis que des pays d’autres Régions soutiennent d’autres portions de la bande (Etats-Unis ou Chine). La question est donc de savoir s’il serait possible d’obtenir une harmonisation régionale des différentes portions de la bande, ce qui aurait l’avantage de préserver, en creux, un accès harmonisé à une partie de la bande 37,5-42,5 GHz pour des stations terriennes de réception sans avoir besoin de les coordonner avec la 5G.
  • 50 GHz : cette gamme de spectre a suscité peu d’intérêt jusqu’à une date récente. Mais la perspective d’enchères aux Etats-Unis sur la bande 48 GHz a changé la donne. C’est une bande de fréquences sur laquelle la position française est encore en discussion, avec la volonté, comme pour le 40 GHz, d’aboutir à un équilibre dans l’accès au spectre entre la 5G et les stations terriennes en émission dans les bandes 47,2-52,4 GHz.
  • 66 GHz : cette bande est visée à la fois pour les technologies 5G et pour le WiGig (famille du Wifi) sous un régime d’autorisation générale. Pour l’Europe, où la neutralité technologique est la règle, cette compétition technologique ne constitue pas un obstacle et l’objectif reste d’identifier cette bande pour les IMT tout en soulignant le besoin de règles techniques pour assurer sa coexistence avec le WiGig. Néanmoins, d’autres pays, comme les Etats-Unis, s’opposent à l’identification de cette bande de crainte que cela ne perturbe le fonctionnement de cette technologie non IMT.
  • 70/80 GHz : les études européennes ont identifié le risque de brouillage des radars automobiles en bande adjacente (76-81 GHz), même en imposant de fortes contraintes pour éviter des rayonnements non désirés. La position européenne est maintenant de s’opposer à ces bandes, compte tenu également de leur utilité pour du service fixe point à point.


Les négociations à la CMR-19 se feront en écho aux débats en cours en France et en Europe sur la bande des 26 GHz. Sur les autres bandes, les résultats de la CMR-19 permettront de lancer les travaux d’harmonisation européen et, au final, d’apporter aux opérateurs de nombreux gigahertz de capacité supplémentaire dans un cadre réglementaire international permettant la protection des autres services, principalement satellitaires.