Vers une gestion plus dynamique du spectre : le "Licensed Shared Access" (LSA) ou partage sous licence

Innovation 26 janvier 2015

La croissance importante du trafic mobile est indiscutable : entre aujourd’hui et 2030, les hypothèses les plus prudentes aboutissent à une multiplication du trafic par 30 et les plus audacieuses par 300. Il est ainsi probable que de nouveaux besoins en spectre apparaîtront. 

Afin de répondre à cette demande, l’Etat peut, comme il l’a fait jusqu’à présent, libérer de nouvelles bandes de fréquences et les affecter exclusivement au très haut débit mobile. Compte tenu du coût croissant de cette méthode, elle doit être couplée à de nouveaux modes de gestion du spectre, en particulier le recours au partage dynamique de bandes de fréquences.

La possibilité de partager des bandes de fréquences existe déjà : le régulateur peut, par exemple, délivrer des licences distinctes, statiques, pour des zones géographiques séparées. Les fréquences ouvertes, comme le Wifi, sont également partagées par nature. Mais, entre ces deux extrêmes, il est aussi possible de concevoir des mécanismes de partage dynamique des fréquences. C’est ainsi qu’est apparu le LSA (Licensed Shared Access) ou partage sous licence. Le RSPG en a donné une définition dans son avis de novembre 2013 : pour « faciliter l’introduction de systèmes de radiocommunications exploités par un nombre limité de détenteurs de licences (« licensees ») », le LSA leur permet d’utiliser une bande déjà attribuée « sous un régime de licence exclusive » à un ou plusieurs utilisateurs initiaux (« incumbents »). En somme, il s’agit d’attribuer à de nouveaux utilisateurs une autorisation sur des fréquences qui restent affectées à un autre, mais à la condition expresse de ne pas le perturber : le nouvel arrivant doit en effet respecter des règles précises qui garantissent que les services du primo-occupant ne seront pas dégradés.

Cette coexistence pacifique peut s’ajuster au cours du temps. Le LSA peut en effet être mis en œuvre de manière dynamique : par exemple, grâce à une base de données géolocalisée, les titulaires de l’autorisation LSA n’utiliseront la bande que dans des zones qui ne perturberont pas l’utilisateur initial. Les limitations peuvent aussi être temporelles et moduler la puissance des stations. L’originalité du LSA provient du fait que ces restrictions doivent être précisément définies au préalable par l’administration et consignées par écrit. Les services déployés antérieurement dans la bande obtiennent ainsi des assurances sur leur maintien en fonctionnement, tandis que les nouveaux entrants bénéficient d’une sécurité juridique suffisante pour justifier leurs investissements dans la bande. 

En Europe, la bande 2,3 GHz est rapidement devenue la première bande candidate pour une expérimentation LSA comme l’avait souligné le RSPG dans son avis de juin 2013 sur le haut débit sans fil. Il s’agit d’une bande déjà identifiée depuis 2007 dans le règlement des radiocommunications pour un possible usage par des systèmes mobiles et bénéficiant d’une normalisation   (3GPP). Des équipements LTE TDD existent ainsi pour cette gamme de fréquences. Elle est déjà utilisée comme bande mobile exclusive en LTE TDD, notamment en Australie, à Hong Kong, en Inde, en Russie, en Afrique du Sud ou en Chine. Depuis 2013, un groupe de travail de la CEPT (le FM52), présidé par l’ANFR, étudie la mise en place du LSA dans la bande 2,3 GHz et une décision ECC en ce sens a été adoptée en juin 2014. L’ETSI a développé un SRD (System Reference Document) pour les services mobiles utilisant le LSA dans la bande 2,3 GHz complémentant les initiatives de la CEPT.

En France, cette bande est aujourd’hui utilisée par le ministère de la Défense pour certaines applications, notamment de télémesures aéronautiques. Le transfert de ces applications dans d’autres bandes de fréquences n’est pas envisageable à court terme. L’ARCEP utilise également la bande 2 290 2 310 MHz pour les liaisons de vidéo reportage. Ces deux types d’usages ont la particularité de ne pas concerner l’ensemble du territoire et de ne pas être permanents. Des études amont ont été engagées au niveau national sous l’égide de l’ANFR dans un premier temps pour contribuer aux travaux européens. 

Aujourd’hui, des entreprises françaises comme Alcatel-Lucent, aux côtés de start-up comme Red Technologies, sont en pointe en matière de LSA. Les pouvoirs publics français soutiennent cette solution réglementaire innovante qui a de surcroît fait l’objet de travaux européens préparatoires. 

Le partage de cette bande permettrait d’en préserver l’usage par le Ministère de la Défense, partout où elle est indispensable à ses activités et où elle ne peut être libérée à un coût raisonnable. L’approche LSA appliquée à cette bande fournirait alors aux opérateurs mobiles une capacité additionnelle pour des services de très haut débit sur la majeure partie du territoire.

La mise en œuvre de l’approche régime LSA exigera que le régulateur définisse précisément les conditions de partage et de coordination des utilisateurs initiaux et additionnels, en complétant les conditions fixées dans la décision ECC.

A la suite des propositions du rapport ministériel Une gestion dynamique du spectre pour l’innovation et la croissance de Joëlle Toledano, les travaux de la Commission de la compatibilité électromagnétique (CCE) de l’Agence ont permis d’approfondir la compatibilité entre les différents usages envisagés pour la bande 2,3 GHz. A la demande de la Ministre Axelle Lemaire, l’Agence nationale des fréquences, en collaboration avec l’ARCEP, la Direction générale des entreprises et le ministère de la Défense, va désormais préciser les conditions techniques qui permettraient à des acteurs économiques d’initier une expérimentation LSA dans cette bande. Cette initiative permettra d’ouvrir la voie à un usage plus dense du spectre, tout en accroissant la capacité ouverte au haut débit mobile.